Depuis l’annonce de restructuration de Delhaize, les déclarations d’indignations ont inondé la presse et les réseaux sociaux. Le message principal? « Delhaize fait du bénéfice, donc l’entreprise ne peut pas licencier » souvent accompagné du sous-entendu « Et pendant ce temps, les méprisants dirigeants s’en mettent plein les poches ». A mon humble avis, le premier message est simpliste et le sous-entendu carrément malsain.
Non, ce n’est pas la faute à Knoops. C’est tellement flagrant. On n’a vu aucun responsable politique, aucun journaliste, le dire haut et fort. Personne pour apporter son soutien à un management soumis à une pression que peu d’entre nous serait capable de supporter. Dans ce contexte, les couacs de communication de Mr Knoops, s’il en est entièrement responsable, ne font pas de lui un escroc. Affirmer ce soutien aurait permis de passer du prisme « Il faut protéger les travailleurs victimes de mauvaises décisions du patron » à « Delhaize est en difficulté. Comment peut-on aider l’ensemble de ses travailleurs à traverser cette crise dans les meilleures conditions ? »
Mais il est tellement plus simple d’entretenir cette bonne vieille lutte des classes ! Une recette qui fonctionne depuis des siècles. On y a recours pour justifier toutes les injustices. On oppose la gauche et la droite, les patrons et les syndicats, les "riches" et les "pauvres". On force les gens à choisir le camp des ouvriers et employés fainéants, ou celui des cadres dirigeants, vénaux et méprisant. Il est évident que cette manière de penser notre vivre ensemble est dépassée. Mais certains se plaisent à entretenir ce clivage, avec pour objectif inconscient de ne pas devoir se poser les vraies questions, celles qui font peur. J’y reviens.
Non, ce n’est pas la faute à Mr Knoops s’il est amené à fermer 14 magasins non-rentables alors même qu’ils font partie d’un groupe qui fait du bénéfice. C’est la logique de notre système économique basé sur la compétition. S’il ne le fait pas, l’entreprise devra réduire ses dépenses ou augmenter ses recettes. Si elle réduit ses dépenses en diminuant la rémunération de l’actionnaire ou de ses employés, ceux-ci fuiront investir ou travailler dans des entreprises plus rentables. Si elle augmente ses recettes en augmentant ses prix, vous et moi fuirons vers une autre chaine de grande distribution où le passage à la caisse est moins douloureux. Nous réagissons tous à la même logique, implacable, inattaquable.
Et c'est là que ça devient dangereux. Les adeptes de notre économie du libre-échange se repose sur cette logique, impacable, inattaquable, pour justifier les comportements de leurs pairs et couper court au débat. Ils en oublient que des logiques implacables, inattaquables ont parfois été au cœur des moments les plus noirs de notre Histoire. Les contestataires, eux, s'attaquent aux Mrs Knoops à l'intérieur de notre système. Mais tant que les règles du jeu restent les mêmes, les Mrs Knoops auront toujours raison de prendre des décisions comme celle de la semaine passée. C'est réellement logique, implacable et inattaquable.
Vous l'aurez compris, le serpent se mord la queue. C'est le fonctionnement de notre économie, qui comporte trop d'effets pervers et dont le fonctionnement échappe au contrôle de ses acteurs, qu'il faut remettre en question. On parle ici de coordonner les ressources d'une planète avec les envies et les besoins de près de 7 milliards de personnes! La solution miracle n'existe pas. D'ailleurs, des systèmes bien pires existent comme l'économie collectiviste dont on a vu le désastre humain qu'il provoque.
Alors oui, indignons-nous. Mais pas du comportement des patrons, ni de celui des grévistes. Dans cette histoire, chacun joue le rôle que le système veut bien lui donner. Indignons-nous plutôt de ce système dans lequel une partie d'entre nous est confortablement installé mais dont on sous-estime souvent les laissés-pour-compte. Je n'ai pas de solution toute faite à proposer. Sinon celle qui consiste à ce que chacun ouvre les yeux et les oreilles aux alternatives ambitieuses qui sont proposées, soit ouvert au changement et prêt à sortir de sa routine. A ce que nos politiques soient encouragés et suivis quand ils s'engagent dans des voies innovantes. Ce n'est pas simple mais "un monde différent ne peut advenir avec des gens indifférents!". Bonne chance!
